Transmissions d’entreprises : le Pacte Dutreil veille !
Publié le 23 octobre 2023
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Le dispositif Dutreil est un puissant levier d’ingénierie patrimoniale.
Il permet aux dirigeants qui veulent transmettre leur entreprise de bénéficier d’une exonération fiscale ; sous réserve de conditions et de vigilance. Nos experts vous expliquent tout.
25 % des dirigeants d’entreprise seraient âgés de plus de 60 ans et 11 % de plus de 66 ans . Un tiers des entreprises doivent donc légitimement se poser la question de l’après.
L’occasion de revenir sur le dispositif Dutreil relatif à la transmission d’entreprises.
« Le dispositif Dutreil doit être appréhendé avec précaution et s’inscrire dans une stratégie patrimoniale globale »
Les exonérations partielles du Pacte Dutreil
Le législateur est parti d’un constat. En France, contrairement à de nombreux pays d’Europe, les entreprises familiales françaises peinaient à se prolonger aux générations d’après. En cause : le coût fiscal des transmissions. Le risque : voir s’étioler le tissu entrepreneurial de proximité, pourtant facteur de dynamisme économique et d’emplois locaux.
Dès son instauration en 1999, l’objectif du dispositif Dutreil est donc clair : pérenniser toutes ces entreprises qui animent économiquement et socialement les territoires.
Comment ? En offrant au dirigeant, sous conditions au moment de la transmission, une exonération partielle de 75 % de l’assiette taxable.
Autre avantage : ce dispositif peut être articulé avec le levier fiscal du démembrement de propriété ou avec la réduction de droits de 50 % en cas de donation en pleine propriété avant 70 ans. Il est dès lors particulièrement efficient et peut contracter les droits de donation ou de succession de 45 % à moins de 6 % !
Conditions d’éligibilité
Le dispositif Dutreil s’applique principalement aux sociétés – telles que SA, SAS, SASU, SARL et SCA – qui exercent, au moins de façon prépondérante, une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole, libérale ; ou bien une activité de holding animatrice.
L’exigence de stabilité a guidé les autres conditions d’accès au dispositif Dutreil.
- Un engagement – collectif ou unilatéral – de conservation doit être signé préalablement à la transmission de l’entreprise. Il est pris par le donateur seul ou avec d’autres associés, détenant au minimum 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers.
- L’un des associés signataires de l’engagement collectif ou l’un des bénéficiaires de la transmission doit exercer une fonction de direction dans la société concernée. Et ce pendant les 2 ans de l’engagement de conservation ; et les 3 ans qui suivent la date de transmission.
- Les titres doivent quant à eux être conservés pendant au moins 6 ans :
– Les 2 ans de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation.
– Ajoutés à 4 ans minimum d’engagement individuel par chaque bénéficiaire de la transmission. Le délai s’enclenche dès la fin de l’engagement collectif. - Obligations déclaratives : allégées par la loi de finance 2019, elles doivent toutefois être rigoureusement respectées pour bénéficier du dispositif.
Assouplissements possibles
Deux procédés apportent un peu de flexibilité à ce cadre relativement rigide.
- Le Dutreil post mortem : il permet aux héritiers de conclure un engagement de conservation quand l’entrepreneur décédé n’a pas anticipé la transmission.
- La possibilité de réduire l’engagement de 6 à 4 ans : quand les conditions évoquées supra sont en pratique déjà respectées depuis 2 ans, il est possible d’accéder directement à la phase d’engagement individuel de conservation.
Illustration chiffrée
À 68 ans, Henri Lefevre veut transmettre à sa fille unique, 100 % des titres de la société LEFEVRE & CO. Ils sont valorisés à 5 M€ et il en est l’associé unique. Il s’interroge sur la meilleure alternative fiscale.
Option 1 : la « donation démembrée »
Comme Henri Lefevre a 68 ans, l’assiette taxable correspondra à la valeur de la nue-propriété – c’est-à-dire 60 % de la pleine propriété – à laquelle s’applique l’exonération Dutreil de 75 %.
Coût fiscal : 5 M€ x 60 % x 25 % = 750 000 €.
Après application de l’abattement de 100 000 € accordé en matière de transmission entre parents et enfants, l’imposition passe à environ 138 K€, soit une pression fiscale de moins de
2,8 %.
Conformément au mécanisme du démembrement, au décès de M. Lefevre, sa fille deviendra pleine propriétaire sans aucune fiscalité supplémentaire.
Sans le dispositif Dutreil, les droits auraient atteint plus de 1,1 M€, soit 22 % de pression fiscale.
Option 2 : la donation en pleine propriété
Dans ce cas, seule l’exonération Dutreil s’applique.
Le coût fiscal sera dès lors de 5 M€ x 25 % = 1,25 M€.
Résultat : une fiscalité d’environ 353 K€ sur laquelle s’applique un abattement de 50 % dans la mesure où le donateur est âgé de moins de 70 ans. La fiscalité finale sera de 176 K€, soit une pression fiscale de 3,5 %.
Sans le dispositif Dutreil, les droits se seraient élevés à plus de 2 M€, soit une pression fiscale de près de 40 %.
Le cas des holdings : animatrice ou pas ?
Le Pacte Dutreil ne s’applique pas aux activités de location nues et meublées (sauf exception) et aux activités de gestion de son propre portefeuille de valeurs mobilières.
Elle ne s’applique pas non plus aux holdings, c’est-à-dire aux sociétés détentrices de participations dans des filiales ; et dont la vocation principale est de centraliser certains flux comme les remontées de dividendes. Ces structures sont devenues au fil des années un outil fréquent de structuration patrimoniale.
Pour autant, les holdings animatrices peuvent bénéficier du dispositif Dutreil. Sont considérées comme telles, celles qui participent activement à la politique du groupe et apportent de véritables services aux filiales qu’elle détient.
Cette définition relativement floue a généré plusieurs contentieux ; qu’ils soient relatifs au dispositif Dutreil ou à d’autres. Et en la matière, s’autoconvaincre ne fonctionne pas. Il faudra prouver qu’il y a bien une animation réelle et effective. Ainsi, fournir quelques documents ou organiser des réunions ne suffira pas. La holding doit prouver l’existence de véritables actes de gestion. Comme un faisceau d’indices, c’est la convergence de plusieurs éléments qui pourra faire la différence.
Autre facteur de complexité : le critère de la prépondérance, également applicable aux holdings qui exercent une activité annexe à l’animation.
Dans certains cas, le recours au régime des holdings interposées constituera une alternative prudente.
L’importance de conseils avisés
Depuis son élaboration, le dispositif Dutreil a connu pas moins de 14 modifications législatives. Plusieurs remaniements de la doctrine initiale et une abondante jurisprudence incitent donc à le manier avec prudence, raison et circonspection.
Chaque transmission d’entreprise doit être rigoureusement analysée et planifiée en amont.
Si le régime de l’animation est choisi, il faut constituer un dossier solide. Des justificatifs écrits contribueront à attester de l’animation effective exercée par la holding ; et ce, depuis la conclusion de l’engagement de conservation.
C’est une évidence. La complexité et l’évolutivité du Pacte Dutreil exigent un accompagnement avisé du chef d’entreprise. Car ses décisions devront être prises à l’aune de leurs conséquences fiscales ; mais aussi humaines et juridiques.
À noter
L’engagement de conservation peut être collectif ou unilatéral (pris par une personne seule).
On parle de Pacte Dutreil car il peut s’assimiler à une forme de pacte d’associés portant sur la conservation de titres de société.