Révolution énergétique
Publié le 18 juillet 2023
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La question énergétique avait disparu des radars aux lendemains du double choc pétrolier des années soixante-dix. Elle se résumait principalement, dans un monde global peu préoccupé par les questions environnementales, aux fluctuations conjoncturelles de l’offre et de la demande de pétrole, devenu partout la principale source d’énergie. Certes, ce dernier devenait plus rare et la menace du moment où la ressource commencerait à diminuer était régulièrement agitée. La percée de la demande chinoise à partir des années deux mille, puis celle du monde émergent dans sa globalité, augmentaient considérablement les besoins mondiaux. Durant la période d’effervescence économique de la veille de la crise financière de 2008, l’or noir se raréfiait, on allait le chercher plus profondément, à un coût constamment plus élevé. Ce troisième choc pétrolier finit néanmoins par être supplanté par l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste et la découverte de nouveaux gisements ou réserves qui mettaient constamment en doute la véracité de la menace d’un pic pétrolier.
Si les besoins des pays émergents étaient encore amenés à croître considérablement, le monde développé devenait progressivement moins dépendant de l’or noir tandis que le développement accéléré d’énergies alternatives semblait en mesure d’éloigner les risques imminents de pénurie. La question énergétique, était in fine loin de s’imposer comme une priorité pour les agents économiques.
Que s’est-il passé en si peu de temps pour occasionner les bouleversements que nous connaissons depuis le début de la décennie ?
La réponse n’est pas du côté de la pandémie de Covid, pas plus qu’elle ne se trouve dans l’éclatement de la guerre russo-ukrainienne, aux conséquences de laquelle l’Europe a jusqu’à présent su pallier, ou dans une prise de conscience tardive d’un réchauffement climatique insoutenable. Elle est, plus vraisemblablement, dans la combinaison de ces trois éléments et dans ce qu’ils reflètent : un monde de plus en plus fractionné, de facto plus concurrentiel et conflictuel, dans lequel la trop grande dépendance aux ressources d’énergie non maitrisées devient une menace potentielle pour la souveraineté de chacun, comme, bien sûr, la guerre en Ukraine l’a brutalement rappelé.
Au défi climatique de la décarbonation nécessaire pour espérer contenir le réchauffement des températures planétaires à 2 degrés se greffent des enjeux de sécurisation des ressources énergétiques d’autant plus importants que le contexte géopolitique se complexifie et devient incertain et que notre modèle de développement se révèle de plus en plus énergivore, y compris dans le monde développé.
La réponse à l’impératif de décarbonation est le plus souvent électrique, qu’il s’agisse des moyens de transport individuels ou collectifs, des systèmes de chauffage et de climatisation, de ceux de l’exploitation industrielle. Par ailleurs, si les nouvelles technologies peuvent être d’efficaces moyens de contrôler et d’optimiser la consommation d’énergie, leur développement s’accompagne d’une croissance quasi-exponentielle des besoins, tout particulièrement en électricité.
Recherche désespérément électricité décarbonée
L’équation énergétique, jusqu’alors essentiellement pétrolière, est ainsi devenue en quelques années celle de l’électricité. A priori mieux maîtrisée, en théorie moins carbonée, tout au moins susceptible de le devenir, et surtout, de plus en plus indispensable au développement d’économies connectées de toutes parts, l’électricité s’est imposée comme le nerf de la bataille énergétique et celui des politiques publiques depuis le début de la décennie.
Le cas français est emblématique de ces évolutions. En 2022, RTE (Réseau de Transport en électricité) estimait à 40 % la baisse de la consommation française d’énergie d’ici 2050, mais entre 20 % et 50 % la croissance des besoins en électricité, des projections, pourtant, déjà mises à mal par les développements récents : la guerre en Ukraine, bien sûr, mais aussi la course vers une décarbonation accélérée et celle, toute aussi impactante, des perspectives de réindustrialisation. Mi-2023, RTE indiquait que la consommation électrique française, qui était l’an dernier de 460 TWh, devrait être comprise entre 580 et 640 TWh dès 2035 dans un scénario de réindustrialisation de l’économie française, ce qui impliquerait la nécessité de doubler la production annuelle.
Le défi est considérable, non seulement pour la France dont la génération d’électricité s’est sensiblement ralentie ces dernières années, avant de flancher l’an dernier face aux nombreux déboires d’un parc nucléaire vieillissant, mais pour chacun des pays européens qui se heurtent à nombre d’obstacles :
- Le coût, tout d’abord, du développement des capacités de production, qui avoisine selon les scénarios 60 à 80 milliards d’euros par an pour la seule économie française d’ici 2060.
- Les choix du mix énergétique privilégié, en particulier la place dédiée au nucléaire et aux autres sources d’énergies alternatives, hautement contraint par les orientations communes de l’Union Européenne, soumises à concurrence et incertitudes récurrentes.
- L’accès aux minéraux nécessaires au développement de ces nouvelles sources d’énergies, quelles qu’elles soient, rendu de plus en plus incertain par la concurrence et les conflits ou menaces de conflit qui opposent les grandes puissances mondiales.
- La question de l’impact des évolutions climatiques, mêmes, sur la capacité de production : le nucléaire a l’avantage de prendre peu de place, mais nécessite de l’eau, pas toujours garantie en période de stress hydrique.
- Sans parler de la question de l’espace requis pour le déploiement de nouvelles installations ; la taille du parc solaire et éolien nécessaire aux scénarios développés par RTE correspond à deux fois la surface actuelle.
- Et ce que pourrait apporter dans cette équation une plus grande sobriété que pourraient finir par imposer les contraintes en place.
- Sans parler de la question de l’espace requis pour le déploiement de nouvelles installations ; la taille du parc solaire et éolien nécessaire aux scénarios développés par RTE correspond à deux fois la surface actuelle.
- La question de l’impact des évolutions climatiques, mêmes, sur la capacité de production : le nucléaire a l’avantage de prendre peu de place, mais nécessite de l’eau, pas toujours garantie en période de stress hydrique.
Les enjeux énergétiques sont, on l’aura compris, inédits. Source tout à la fois d’innovation galopante, plus importante que toutes les révolutions schumpétériennes jusqu’alors traversées, mais, surtout, de risques économiques, financiers et géopolitiques assez largement imprévisibles.
Date de rédaction : 10 juillet 2023
À propos de Véronique Riches-Florès, auteur de cet article
Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Florès dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique – Observatoire français des conjonctures économiques –, et dans la banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.